vendredi 2 novembre 2012

Mais qui a marché?



Qui a marché, et avec qui?

Oui, "qui a marché?", ai-je tendance à me demander.

Lorsqu'on discute avec moi et me pose des questions sur cette grosse randonnée, j'y réponds et je sais que j'étais présente à chaque instant, mais j'ai l'impression que je parle de quelqu'un d'autre.
Quelqu'un que je connais bien, mais qui n'est pas moi. Plus moi?


Ne croyez pas pour autant que j'ai changé. Que ceux qui m'aimaient telle que j'étais se rassurent, je dis et je fais toujours les mêmes bêtises, ils s'y retrouveront.
Quant à ceux qui auraient aimé me voir transformée, qu'ils se désolent, je dis et je fais toujours les mêmes bêtises.

Cette personne dont je peux lire les récits dans le blog a fait des trucs qui me semblent bien étonnants.
Et je comprends mieux maintenant, la surprise de ceux rencontrés en route, ou restés en France.

Entre vivre les évènements au jour le jour et les regarder de manière globale, les lire, en écouter le récit, il y a une sacrée différence.

Au jour le jour, dans l'action, on gère ce qui se présente, aussi simplement qu'on gère les problèmes d'un quotidien plus classique.
Une situation se présente, on réagit, point.
Chaque journée est unique, et ne dure que 24h.
Ces heures sont parfois courtes, parfois longues. Le lendemain, n'est qu'un nouveau jour.

Il serait décourageant, d'envisager le chemin restant à parcourir, autant d'ailleurs que celui parcouru.
Chaque matin, le but, c'est ce soir..

Mais avant de me perdre en digressions, je vais reprendre les questions qui m'avaient été envoyées par Marion, et qui vont me donner une base pour jeter un coup d’oeil en arrière.
« As-tu parfois souffert de solitude? As-tu eu des problèmes de communication trop importants qui bloquaient les échanges? As-tu eu peur? Dirais-tu que le fait que tu sois une femme a été plutôt un avantage ou un désavantage? As-tu rencontré des populations antipathiques? Aurais-tu pu t'installer pour de bon quelque part, ailleurs? Qu'est ce qui t'as le plus manqué? Qu'est ce qui va maintenant le plus te manquer? »
Je vais tâcher d'y répondre, plus ou moins dans l'ordre, selon les réflexions que ça m'inspirera au fil des réponses. 


Histoire de ne pas rendre ce post trop austère, quelques photos prises depuis le retour...
Les gorges de la Beaume


-Ai-je souffert de la solitude?

Je ne crois pas. Difficile à dire avec le recul, car les moments pénibles ont tendance à s'effacer.
En gros, lorsque j'étais davantage dans une formule classique de voyage, comme en Inde, et en milieu urbain en règle générale, disons que j'avais plus conscience du fait que j'étais seule.

Paradoxalement, dans les périodes solitaires, était-ce parce que je me racontais toujours des tas de trucs qui me faisaient rigoler, j'avais toujours la sensation diffuse et inconsciente d'être, couvée? protégée? accompagnée?

Et lorsque j'arrivais dans un village et devais répondre à la première personne rencontrée qui me demandait invariablement: « Tu es seule? », j'ouvrais tout d'abord la bouche pour répondre non à cette question incongrue, puis marquais un infime temps de réaction, pendant lequel je me mettais à la place de mon interlocuteur, et répondais oui.

Mais il me fallait lutter un peu, pour me conformer à la réalité de la situation objective.
Non sans avoir jeté un imperceptible, et même imaginaire regard par dessus mon épaule afin de m’en convaincre.

Mon premier élan était de répondre que j'étais accompagnée, car je ne me sentais absolument pas seule.

Schizophrénie? Mysticisme? Délire?
Je l'ignore.


-Problèmes de communication ?

Bien sûr, mais étaient-ils vraiment dus aux langues, ou bien aux pays traversés et aux peuples côtoyés?

Quelque soit la langue, ma capacité à la parler, ou celle de mes interlocuteurs à s'exprimer en Anglais, la communication était surtout tributaire de la bonne volonté, de la curiosité, de l'envie de communiquer.

Où que ce soit, on parvient toujours à se faire comprendre lorsqu'on joue à deux à ce jeu là.

Rien de pire, quelques soient les efforts déployés, que de tomber sur quelqu'un qui fait la sourde oreille.
Ce qui donne parfois dans la même journée l'impression de maîtriser à peu près un vocabulaire de base, et une heure plus tard, d'être incapable de prononcer un traître mot correctement.

Ceci pour la communication de base.
Dans tous les cas, dès qu'on veut approfondir, on se sent très limité. Ce qui est regrettable dans de nombreuses occasions.


Hmmm l'Ardèche!


-Ai-je eu peur?

Grande question.
Non. Ce que j'appelle la peur, c'est quelque chose qui vous fait paniquer, vous empêche de réagir et de réfléchir.

En revanche, je parlerais plutôt de prudence, méfiance.
A chaque seconde, avant chaque décision, face à chaque évènement, se déroule dans ma tête un passage en revue systématique du pire possible, qui ne s'est jamais présenté.

Tout en restant complètement disponible, en attente du meilleur, qui ne manque jamais d'arriver.

Confiance totale et paranoïa absolue cohabitent en permanence. Cocktail schizophrénique avec lequel il faut apprendre à vivre.


-Femme. Avantage ou inconvénient?

L'inconvénient et danger majeur, qui vient immédiatement à l'esprit de chacun, est l'irrépressible et anarchique appétit sexuel masculin. Sollicitation permanente.
Il faut être en état de vigilance permanent. Il faut savoir dire non. Le répéter. Le répéter encore. Et encore. Faire respecter ce non.

 Voilà pour L'INCONVÉNIENT. Assez lassant comme truc, souvent horripilant il faut bien le dire, mais finalement gérable.

Mis à part ça, que des avantages.

Ne représentant de danger pour personne, j’étais la bienvenue dans les familles, chez les hommes seuls, aussi bien que les femmes seules.

Une chose amusante se produisait, que j’ai mis un certain temps à analyser:

Dans de très nombreux cas, ce fameux désir masculin, était jugulé par un instinct souvent encore plus fort, celui de protection.
Et à partir du moment où un homme a peur pour vous (en fait il craint les autres pour vous, projetant vraisemblablement ses propres fantasmes), et décide de vous protéger, il semble en quelque sorte s’autocensurer.

Lorsque j’ai enfin compris ce mécanisme, je l’utilisais lorsque la situation menaçait de se dégrader.
Je tentais de replacer l’homme tendancieux en position de protecteur, lorsque je sentais qu’il risquait de représenter un danger.

En gros, ça fonctionnait, sauf en Inde. Là-bas, en plus, ils argumentent:
-NON.
- Mais pourquoi ? Tu es une femme, je suis un homme, voilà.


Un ptit coup de blocs à Païolive.


Ce qui nous amène à la question suivante :

-Ai-je rencontré des populations antipathiques ?

Bon alors pour rester politiquement correct, on va dire, différentes, apeurées, avec d’autres valeurs…

Premièrement en Italie.
En discutant avec les uns et les autres depuis mon retour, il apparaît qu’il y aurait deux Italies.
Celle dans laquelle vous arrivez en avion, train, bateau ou voiture, et dormez dans des hôtels, munis de votre carte bleue.
Une Italie charmante, accueillante, haute en couleurs.

Et celle dans laquelle vous débarquez à pieds, en stop, à vélo, dormez dans une tente, dans un hamac, à la belle étoile, et portez un sac à dos. Je ne parle même pas de l’éventualité d’être hébergé chez l’habitant !

Une Italie peureuse, que dis-je peureuse, terrorisée, à la limite de l’agressivité, souvent moqueuse, au mieux indifférente.

D’après eux (qui reconnaissent volontiers ces attitudes), ça viendrait des problèmes rencontrés, avec les Albanais en particulier, et toutes autres populations immigrées en général, parfois de manière clandestine.

Donc, en gros, tu portes un sac à dos et voyages sans voiture = tu es pauvre.

Tu es pauvre = tu es voleur.

Tu es voleur = peut-être es-tu aussi un assassin.

Ce qui pousse certaines personnes croisées à s’enfuir littéralement lorsqu’on les salue, des femmes à hâter le pas dans les rues désertes lorsque vous marchez derrière elles, et certains enfants à vous jeter des pierres.

Personnellement,il m’a bien semblé que leurs programmes télé axés sur les dangers qui vous guettent en permanence (avec interventions policières filmées), sur la violence, les meurtres, les vols, les viols, ne doivent pas aider.
Comme chez nous, en gros, mais en pire.

Ce qui est d’ailleurs le cas des télés et messages subliminaux des gouvernements en général.

Donc, malgré l’extrême gentillesse de Richard, rencontré à Nice et qui nous avait fourni cartes de pèlerins, topo détaillé de la via Francigena jusqu’à Rome, et liste des accueils de pèlerins, même l’hospitalité religieuse n’était pas au top.
Outre le fait qu’elle était systématiquement payante, du simple don (normal), à des prix prohibitifs, la chaleur humaine en était quasiment absente. Lorsqu’on daignait nous accueillir…

Car si, pour une raison ou une autre, du style dortoir en travaux, la sœur ou le prêtre au quel nous nous adressions décidait qu’il ne pouvait nous héberger, il ne servait strictement à rien d’invoquer le froid, la nuit, la pluie, la neige.
Inutile d’expliquer que nous ne désirions qu’un toit, même sans chauffage, que nous avions des matelas et duvets, et qu’un simple couloir ou garage ferait l’affaire.
Sans pitié, piété ni compassion, la porte se refermait sur la nuit, sans plus d’espoir de la voir se rouvrir.

En deux mois, deux prêtres ont ouvert leur porte avec sincérité, générosité, humanité.
Je les remercie du fond du cœur.

Et en dehors du couchsurfing (assez rare finalement, en raison du nombre impressionnant de couchsurfeurs hommes, qui ne désirent héberger que des femmes seules), seule une personne, alors que je marchais seule pendant quelques semaines en Italie, m’a presque spontanément reçue.

Presque, car la proposition est intervenue d’une part à la suite d’une discussion devant une jolie chapelle sur fond de colline dominant le soleil couchant sur les « cinque terre », et que la femme du Monsieur prêt à m’offrir l’hospitalité a été plutôt difficile à convaincre :

Il parle quelques mots de Français, et après m’avoir invitée, en informe sa femme, présente à ses côtés. Terrorisée d’accueillir une « cheminote » telle que moi, elle refuse.
Enfin, à la fin d’une loooongue discussion, je l’entends accepter de guerre lasse, tout en déclarant à son mari : « Bon d’accord, mais alors dans la véranda avec le chien ! »

C’est ainsi que j’ai bénéficié du plus chaleureux accueil qui m’ait été offert. Batti, car c’est son nom, a préparé un délicieux dîner, s’est mis en quatre pour faire oublier les conditions imposées, et m’a même raccompagnée sur le chemin le lendemain, se mettant ainsi en retard pour aller travailler.

Merci Batti, tu es mon Italien préféré !


C'est pratique la moto, mais quand il faut se rhabiller, c'est long! Changement à vue dans les rues d'Avignon.


Allez, je vais laisser les Italiens tranquilles, il me reste encore à parler des Indiens…

Hmmmm, que dire ? On pourrait remplir des pages là-dessus. Comment résumer ?

Disons que la différence culturelle est énorme. On a beau avoir entendu dire que c’était un continent à part entière, comme coupé du reste du monde, quasiment une autre planète, on a beau s’y préparer, on ne sera jamais prêt.

Quelques soient les raisons que j’ai tenté de trouver à certains comportements, elles n’expliquent jamais tout.

La pauvreté, la surpopulation, le climat, l’influence de la/des religions, existent dans de nombreux autres pays, à des degrés divers, parfois semblables, mais le cocktail propre à l’Inde crée cette particularité improbable et insolite.

Il m’a paru mystérieux, énigmatique, que cette particularité, cette différence, semble s’arrêter aux frontières du pays, et ce dans toutes les directions. Ce qui renforce cette impression « d’autre planète ».

Sans rencontrer de réelle agressivité, le mélange de regards insistants quoique neutres, et l’attitude due au concept de karma, vous mettent souvent dans une position distanciée, à la limite de l’absurde.

C’est en tous cas mon ressenti. Ainsi d’ailleurs que celui de nombreux voyageurs solitaires se déplaçant dans des conditions basiques, et pour un temps assez long dans le pays.

Ce qui semble ne pas être le cas des personnes voyageant ne serait-ce qu’un tout petit peu plus confortablement.
Un peu comme en Italie finalement, la perception du pays parait dépendre du porte-monnaie.

Bref, il est assez épuisant de lutter chaque minute contre les tentatives d’arnaques systématiques (explication : « on t’arnaque pour te montrer qu’on te respecte, car tu es riche. » Mouais, un peu tiré par les cheveux hein…), le bruit, la saleté, le harcèlement sexuel (curieusement pas de la part d’hommes dans une foule anonyme, mais systématique dès qu’un homme possède trois mots d’Anglais), un étonnant mélange d’indifférence et de regards pesants, et j’en oublie…

Tout en relativisant.  D’une part, le manque d’informations qui m’a contrainte à utiliser des moyens de transports au lieu de marcher, n’a pas pu me donner l’équivalent de l’expérience rencontrée dans les autres pays

Et du coup, je n’ai déambulé que dans le nord, principalement dans les villes. Le sud c’est autre chose, m’a-t-on dit.

D’autre part, j’ai vécu également de très belles choses avec des gens curieux, sincères, généreux et bons, même si la communication ne faisait finalement que multiplier les questions sans réponses.

Mais je m’arrêterai ici, ce sujet pouvant faire l’objet d’un roman fleuve…


Le festival des orgues de barbarie à Chassiers.


Question suivante ? Ha oui.

-Aurais-je pu me fixer dans l’un des pays traversés ?

NON.
Principalement car ce n’était pas mon but. Je ne suis pas partie pour fuir la France, comme certaines personnes que j’ai pu rencontrer. J’aime ce pays, ma région, ma maison, ma famille, la vie ici.

Même si la curiosité me pousse toujours à faire quelques pas de plus, et encore quelques pas de plus, et encore qu… je ne me suis jamais imaginé que l’herbe était plus verte ailleurs.
Je la trouve d’un vert parfait en Ardèche, même lorsqu’elle jaunit un peu sous l’effet de la sécheresse…

Il m’est très difficile de m’imaginer vivre ailleurs. Comme il doit être extrêmement difficile de vivre en France lorsqu’on n’y est pas né.

Il me revient une anecdote d’un voyage antérieur. Un couple de jeunes immigrés, tous deux Polonais, qui vivaient et s’étaient rencontrés à New York.
Même s’ils maîtrisaient parfaitement la langue, travaillaient et habitaient aux Etats-Unis, ils ne concevaient pas l’amour dans une langue étrangère. Il leur semblait qu’ils auraient été frustrés des subtilités linguistiques et culturelles propres à l’amour.

Ce n’est qu’un détail, mais à l’époque, j’avais trouvé qu’il était révélateur d’une multitude d’autres détails, qui même après trente ans de vie dans un pays étranger, vous rappellent chaque jour que « vous n’êtes pas d’ici ».

En revanche, si la question ne portait pas sur l’installation définitive quelque part, mais sur l’appréciation d’un peuple, il est certain que ma préférence irait à la Turquie et à l’Iran.

Mais il ne faut pas se leurrer. A l’intérieur même de ces pays, comme absolument partout ailleurs, lorsqu’on dit à un habitant que les gens sont gentils, il vous répond systématiquement : « C’est parce que tu es étrangère. Entre nous, c’est très différent. »

Et à chaque fois, me revenait la blague dans laquelle un mort tout frais arrive au paradis, et après un petit séjour test, choisit l’enfer, peuplé lors de sa « période d’essai » de femmes nues et déchaînées.
Mais lorsque les portes se referment définitivement, que les femmes dénudées se changent en une multitude de démons armés de fourches précipitant les âmes damnées dans les feux crépitants des enfers, il demande à ressortir, et St Pierre lui crie de l’extérieur :
-« Voilà, tu viens d’apprendre la différence entre touriste et immigré ! ».


Pleuvra-t-il avant la fin du festival?


Tout ceci nous fait arriver aux deux dernières questions.

-Qu’est-ce qui m’a le plus manqué ?

Rien.
Pendant le voyage, si on est prêt à s’adapter à tout, si on est prêt à tout laisser derrière soi (pour un certain temps en tous cas me concernant), rien ne manque. On n’y pense pas.
Sans grand mérite, car les technologies modernes, si l’on en fait le choix, vous relient toujours à ceux que vous aimez.

Et si eux sont prêts aussi, et ne vous mettent aucune pression (encore une fois dans la mesure où vous comptez vous retrouver dans un laps de temps qui vous semble raisonnable), le manque n’est pas perçu comme tel.

Donc merci à ceux qui m’ont laissée vivre cette aventure sans pression, et en tout premier lieu, à mes fils.


Pourquoi pas un petit tour dans les montagnes corses?

Dernière question.

 -Qu’est-ce qui va le plus me manquer ?

Rien.
J’ai vécu ce que j’avais à vivre, par choix, par plaisir. Je suis rentrée par choix, par plaisir. Ce sont des tranches de vie. Presque douées d’indépendance, dont le seul fil conducteur est le fil de mes pensées.
Ce fil n’est pas coupé, mais les pensées évoluent, avancent, et ce qui reste est la mémoire, parfois fidèle parfois moins, présente en moi, tout en appartenant au passé.

Ce qui est surprenant, c’est la découverte à posteriori de certains manques. Sur le coup, on n’y prête pas vraiment attention, tout juste une constatation. « Tiens, il est difficile de trouver du chocolat par ici. Il est cher, pas bon et rare. » Et même une addict comme moi finit par ne plus y penser.

Ou bien, « Pas évident de se faire des provisions pour plusieurs jours dans le sac à dos, sans pain et sans fromage ». Bon, on trouve autre chose.

Mais au retour, j’ai largement rattrapé deux ans de chocolat et de fromage. Et j’ai réalisé que ça m’avait manqué.

J’imagine donc que si je repartais dans les même conditions, je redécouvrirais avec plaisir des choses dont j’ignore qu’elles me manquent actuellement.

En fin de compte c’est également comme ça que fonctionne notre quotidien. On n’a jamais tout en même temps, à commencer par le jour et la nuit, et c’est pour ça qu’on apprécie la variété de notre existence.






-Quelques petites réflexions complémentaires…

LE truc dont je suis la plus fière :
En dehors des lunettes, je n’ai jamais rien perdu !
Et mieux encore on ne m’a jamais rien volé !

Ni appareil photo, ni téléphone, ni chargeur de batterie, carte bleue, passeport… 
Le fameux mélange paranoïa-confiance a fonctionné.

Avant chaque pays, l’appréhension de la nouveauté, ajoutée à la méconnaissance de la langue, des lectures, et ouïes dires des autres voyageurs, font penser : « Allez, finie la rigolade, ici, il va falloir être plus vigilante ! ».

Et, après une dizaine de jours au début, puis 7, puis, 5, 3, et pour finir quelques heures, on intègre le fonctionnement d’un pays.

Passées les premières surprises, on constate que derrière cette nouvelle frontière vivent des gens, des humains quoi, et qu’ils sont plutôt pareils en gros.
Y’a des gentils, y’a des moins gentils (souvent ceux qui ont plus peur), et puis voilà.

Ok, il y a des différences dans la manière de manger, d’acheter un billet de bus, et surtout une carte sim ! ;-), et de pleins de petites choses du quotidien, mais ce ne sont que des détails.

Pour le reste, tant qu’y a de l’humain y’a de l’espoir, et puis il faut y croire.




Avec le recul, j’ai l’impression que c’est ce qui fait toute la différence.
L’envie, la volonté, l’absence de doute.
Ce qui n’exclut pas une remise en question permanente, des interrogations sur pourquoi, comment, pour combien de temps, l’envie est-elle toujours là, ce qui implique une foule de petites décisions permanentes.

Chacune de ces micro-décisions renforçant finalement le projet initial, dans la confiance.

Du coup, les évènements semblent se conformer aux projections de l’esprit.
C’est un peu la seule explication que je peux apporter à la réussite de ce périple. Je l’ai désiré, me suis donné les moyens de le faire, c’est arrivé.

Forcément différemment de ce que je pouvais imaginer, mais toujours dans l’étonnement, la surprise.

Après, on peut aussi invoquer une bonne étoile, des anges gardiens, de la chance, tout cela passe par la tête évidement au cours d’une aventure comme celle-ci.
Bien que j’ai plutôt du mal à qualifier ça d’aventure, à notre époque, en vertu de nos connaissances sur notre planète, et des moyens à notre disposition.


Lisa, ma compagne de Turquie et Géorgie, infatigable voyageuse, est passée découvrir les paysages Ardéchois, en route vers l'Espagne et le Portugal. En stop et à pieds, évidemment! Elle est arrivée en compagnie de Connor, Irlandais qui se rend en stop au Japon...

Il reste toujours une part de risque, mais est-elle beaucoup plus élevée qu’en traversant la rue en bas de chez nous ?
Et l’aventure n’est-elle pas justement au coin de la rue ?
Dès qu’on le décide, et qu’on envisage notre environnement différemment…

Mais qu’on se rassure (est-ce vraiment rassurant d’ailleurs ?), cette crainte de « l’aventure », et tout simplement de « l’autre », est universelle.

Dans chaque pays traversé, on vous met en garde contre le pays suivant, forcément peuplé d’assassins et de bandits.

Par exemple, les Italiens sont méfiants vis-à-vis des Grecques, qui abhorrent les Turcs, qui redoutent les Géorgiens, qui méprisent les Arméniens, qui vous préviennent contre les Iraniens, et ainsi de suite…

Or, de l’Italie à l’Iran, on va de bonnes surprises en bonnes surprises.
 L’hospitalité et la chaleur gagnent du terrain à chaque pas vers l’est.

Fait notable, la peur se transforme elle aussi en allant vers l’est. Elle passe de « peur de vous », à « peur pour vous ». Délicieuse mutation !




Il semble que chaque pays ne soit entouré que d’ennemis sanguinaires et monstrueux.
Et à l’intérieur même d’une nation, l’ouest est forcément plus dangereux que l’est, le sud que le nord, et vice-versa bien entendu, selon l’endroit où l’on se trouve.

Si on continue à zoomer, on s’aperçoit que le village de la vallée d’à côté, dans lequel vous espérez vous rendre, est censé être moins bien fréquenté que celui que vous vous apprêtez à quitter, et ainsi de suite…

Partout le discours est le même:

Ailleurs est dangereux.

Mais ailleurs, c’est toujours chez quelqu’un qui pense pareil. Déroutant.

Trêve de lieux communs, finissons sur une note plus terre à terre.
Je me suis aperçue que je n’avais pas mentionné le poids de mon sac lors de l’article sur le matériel.

Au départ, avec les affaires d’hiver, 16/17 kilos sans nourriture et sans eau. Donc avec chaque jour un minimum de 2 litres et 2/3 kilos de nourriture, on arrive dans les 20/22. C’est lourd. Trop lourd.

A la fin, à vide, 12kg, ce qui fait 15/17 avec provisions. C’est mieux. C’est même tout à fait gérable.

Une rando dans le Beaujolais pour changer. Faire sécher la tente me rappelle quelques souvenirs.


Voilà, ceci était le dernier article publié sur ce blog.
Il s’est fait attendre très longtemps, et j’en suis désolée pour ceux qui l’attendaient et se sont peut-être lassés, à juste titre.

Personne ne le suit sans doute plus, mais pour moi-même il était important d’y mettre un point final.

Je vous remercie de l’avoir suivi.
Merci également à Philippe, qui m'a accompagnée les six premiers mois. 
Ainsi qu'à Lisa, pour les quelques semaines passées en sa compagnie, et aux amis, famille, délaissés pour un temps, mais qui m'ont donné un coup de main à distance lorsque j'en ai eu besoin.

Je n'oublie pas, et n'oublierai jamais, tous ceux qui m’ont aidée sur le chemin.
Ce sont les vrais héros de l'histoire.
Ils sont bien au chaud dans mon coeur, dans ma tête.
Car si aventure il y a eu, c’est avant tout une grande aventure humaine qui dépasse tout ce que je pouvais imaginer, espérer.