mardi 15 mai 2012

La montagne magique

Lors de la montée des quelques 66 000 marches de la montagne sacrée "Emei Shan" (Sichuan, Chine), dans un étrange état, entre euphorie et douce folie, je jetais chaque soir quelques lignes sur le clavier de mon téléphone.
 Ce que je ne fais jamais en temps normal.

Voici donc quelques copies-colles de mes réflexions sur le vif.

Trois jours, trois courts chapitres, "La montagne magique", "Gravure éternelle", et "Journée du beau et de la joie".

La montagne magique
 
Ce soir, je dors dans un monastère désert, habité seulement d'un moine, et d’une dame qui s'occupe de la cuisine...
Il fait froid, c'est à 2000m, mais il y a une couverture chauffante. Hmmmm!

Je suis tellement heureuse que j'ai l'impression d'avoir fumé la moquette.
Après des débuts pourtant pénibles ce matin. Je hais les cartes fausses, pas à l'échelle, et ne comportant comme informations vitales que les parkings de bus et les hôtels 3*!

Ainsi que les gens qui se contredisent systématiquement les uns les autres, car ils ne savent pas vraiment où tu dois passer quand tu es à pieds sur un itinéraire de pèlerinage!

Mais bon, après un départ tardif, bus depuis Leshan, plus taxi partagé, plus re-bus, et moult va et vient inutiles, j'ai très bien avancé.
 Je pense pouvoir finir la montée demain matin, et au moins attaquer la descente dans la foulée.
La montagne, ça vous gagne!

On préfère ne pas déménager tous les jours dans le coin


Quel bonheur de remarcher!

 Malgré quelques nuits difficiles ces derniers temps, dès que j'ai été lancée sur cette montagne, qui, sacrée l'est certainement, je n'ai plus senti ni fatigue, ni faim, et me suis retrouvée comme chaque fois que je marche, exactement à ma place dans l'univers.

 Seule au monde, mes jambes dévorent ces escaliers reposants et hypnotiques.
Les degrés, avales par centaines, provoquent une ivresse grandissante.

Le monde m'appartient, et ce soir, jouissant d’une vue extraordinaire sur le sommet, les montagnes, précipices, falaises, drapés de brouillards joueurs et changeants, je me sens flotter, personnage fantomatique d’une estampe.
 L'esprit de la CHINE règne ici.



Ce n'est pas le cas de certains autres temples, assaillis par les touristes, car accessibles par “cable-car”.
J'ai d'ailleurs fait une nouvelle captation audio qui vaut son pesant de cacahuètes!
Tous les guides braillant dans leurs amplis en même temps à leurs groupes respectifs. Une cacophonie délirante!

Si l'âme du Bouddhisme a été un jour quelque part c'est là. Et  même si elle s'est enfui depuis vers d'autres sanctuaires, plus retirés, sans touristes et autocars, il reste une magie qui me transporte.
Au dernier plan, le sommet. C'est pour demain matin.
Refuge monacal quitte le matin même, suspendu entre ciel et terre



Gravure eternelle

A mon départ ce matin, le brouillard en montant, isole le monastère du reste du monde.

Hors de l'espace et du temps, je flotte, détachée des tentations
humaines.

Je décide de devenir nonne, de ne plus quitter ce paradis Chinois, qui à lui seul, est l'univers tout entier. Il m'absorbe, me dilue, me restitue à moi-même.

J'intègre l'estampe à tout jamais.

Gravure figée pour l'éternité, à la proue du rocher surplombant le
précipice, fixant aveuglément la blancheur éblouissante de mon écrin
ouateux, je quête l'appel de l'infini.

Ce que je peux écrire comme âneries tout de même! Ben évidemment non, je me suis extraite a grand peine de la gravure, laissant mon empreinte en creux dans le brouillard, j'ai pris mes bâtons, et puis je suis montée.

Qu'est-ce que j'ai eu froid!

Je suis montée d'un traite pendant quatre heures, comme un brise-glace
monumental, qui fait inexorablement son chemin dans un chaos de banquise
déchiquetée.

Si je m'arrêtais ne serait-ce que quelques secondes, mes vêtements trempés
de sueur me collaient au corps, linceul glacé.

Dans la chaleur de l'effort, je ne me suis pas méfiée de la bruine qui a gorgé d'eau mes cheveux et mes vêtements.

Arrivée en haut, tout en dévorant quelques bonbons à la viande (que mes couchsurfeurs m'ont fait découvrir à Chengdu, ce qui évite à mon sac de sentir la viande de yak pendant six mois), j'ai erré, grelottante, pendant une heure à la recherche du passage pour le vrai sommet, quelques 3km plus loin, mais surtout 20 m plus haut!

J'ai demandé, mais n'ai obtenu que des réponses négatives.

Peut-être ne l'ont-ils pas encore déneigé, ce qui leur permet de vendre
plus de tickets pour le monorail qui s'y rend.
Voila bien la Chine moderne,
Bref, ces vingt mètres me restent en travers du gosier. Je n'aime pas
faire les choses à moitié.
 



Je redescends autant que je peux, pour gagner quelques degrés, ce
qui me mène dans un autre monastère, qui lui est une usine à pèlerins.


(matin)
J'ai eu l'énorme chance d'avoir un dortoir pour moi seule, même si le
barouf des femmes d'en face m'a tenue éveillée jusqu'à au moins 21h30.
Ça peut sembler tôt, mais sachant qu'à 18h30 j'étais dans mes draps, après le dîner servi à 17h30, c'est un peu long.

De toutes façons, même avec couverture chauffante, il m’a fallu deux bonnes heures pour me réchauffer.
Le temps de passer tous les morceaux au grill, en me tournant et
retournant sans fin.

J'ai même pu, profitant de ma solitude relative, trouver une bassine, et comme la veille, faire ma toilette, car la supposée douche chaude tardait trop à arriver, me laissant claquer des dents dans mon jus glacé.

Mais les vêtements ne séchant pas, je ne peux pas laver depuis trois
jours, et je vais remettre avec un intense bonheur mon tee-shirt puant.
En attendant, comme hier, je le sèche et le réchauffe un peu, entre
drap et couverture chauffante.

Bon, les heures passent, il faut que je cesse de pianoter et me décide à sortir de ma couette, malgré long "couchage" et peu "dormage", car déjà, mes doigts sont gourds.

Encore au moins trente kilomètres aujourd'hui, de descente principalement et
quelques montées, je ne sais pas si je serais en bas ce soir, je verrai
bien...

Enfin sur le départ, le soleil semble même vouloir être de la partie!
Ça donnerait presque envie de remonter…

Débarrassé des 5 singes accroches a lui, l'homme se précipite vers ses compagnons.


Journee du beau et de la joie

Je ne sais si c'était une journée d'allégresse universelle, un micro-climat d'enjouement local, ou moi par mon état d'esprit du moment qui interprétais ou provoquais inconsciemment les réactions des uns et des autres, mais c'était une journée exceptionnellement gaie.

Je n'ai cessé de rire du matin au soir.
Toutes les personnes croisée plaisantaient avec moi, et j'ai du m'arrêter souvent pour des échanges, compréhensibles ou non, toujours dans une bonne humeur sidérante. De la délicate pointe d'alacrité, au fou-rire fusant spontanément.

 A un moment, j'ai croisé deux hommes, à environ 500m d'intervalle,
qui criaient dans la montagne.

Le deuxième était dans le même état que moi il y a deux jours.
Complètement ivre de cette ivresse des grands espaces, et de la
 liberté.

 Lorsque je l'ai vu arriver, j'ai vraiment cru à son regard, qu'il
était bourré. Je me méfiais de sa réaction.

Mais un sourire béat aux lèvres, il m'a dit en me croisant: Hi, nice
 to meet you. Welcome to Emei shan.

 Et quelques mètres plus loin, donc plus haut pour lui, plus bas pour
moi, il s'est retourné, et a crié, un cri libérateur et sauvage en me regardant, puis m’a sourit.

J'ai ouvert les bras, prit mon souffle, et hurlé à mon tour de tous mes poumons.
 Il a sourit a nouveau, satisfait, et continué sa route.

 Son ami, au loin, nous a répondu.
 Nous nous sommes époumonés ainsi pendant de longues minutes, a la limite de l’extinction de voix, jusqu'à ce que la distance rende inaudible nos braillements d'animaux joyeux.
C'était enivrant et beau.



Plus tard, devant un temple, je m'arrête près d'une famille qui fait une petite pause.
Ils me proposent immédiatement de me joindre à eux, car tout le monde semble terrorisé de me voir seule ici.

Mais ils montent, et je descends toujours.

 A l'un des fils parlant un peu Anglais, étonné et insistant pour savoir si j'étais vraiment venue "by my own", je résume mon parcours France-Chine.

 Il est si ébaubi, qu'il ne peut plus parler du tout pendant cinq bonnes minutes.
 Il ouvre la bouche, la referme, recommence à plusieurs reprises, comme un poisson hors de son bocal, mais aucun son ne sort.

Et ça dure, ça dure...
Nous finissons par tous éclater de rire, alors qu'il reste muet, tentant encore d'articuler quelques sons.

Puis, lorsqu'il retrouve sa voix, c’est le passage oblige à la photo pour la postérité, évidemment.

 

Avant de nous séparer, ils se renseignent sur l'eau, et me disent de rentrer
 avec eux dans le temple, pour remplir nos gourdes. (Sur le parcours,
 tout est payant à prix d'or. Même l'eau, chaude comme froide)

 Ils se dirigent vers un petit robinet dans la cour. Je suis un peu étonnée.

 Les filles remplissent leurs gourdes, mais des tas de trucs se
 baladent dedans. Elles les vident, et recommencent. Pareil. Elles
 renouvellent l'opération plusieurs fois, jusqu'à ce que l'eau soit
 claire.

 Je remplis alors la mienne, dans laquelle il y a déjà mon thé, et en
 bois assoiffée, quelques grosses gorgées dans la foulée.
 A ce moment, un autre membre de leur famille arrive, et leur dit:
  "Venez à l'intérieur, il y a de l'eau bouillante, celle-ci n'est pas
 potable."

 Nous éclatons tous de rire, mais je ne sais pourquoi, la seule non-
 Chinoise de l'assistance est la seule à rire jaune.
 
 Enfin, nous nous séparons, mais le jeune homme qui a retrouvé sa
 voix, encore ébahi, part dans le mauvais sens, avec moi, vers la descente. Nouveau fou-rire général.

Plus tard, de retour en ville
 

Tous les pèlerins rencontrés me mettent en garde contre les
singes de la montagne. Ils viennent tous d'avoir quelques mésaventures avec eux.
 Ils me conseillent de ne pas m'engager seule dans les endroits où des bandes
guettent le passage des humains.

 Mais nos "cousins" me laissent toujours passer sans sembler m'accorder la
moindre importance.

 En revanche, à un moment, je vois un type qui s'avance sur une
passerelle, ses camarades n'osant le suivre.

 Il est immédiatement attaqué, sous l'oeil de ses copains morts de rire.
Plusieurs singes sur le dos, dans les jambes, il réussit
péniblement à se libérer, coups de pieds,coups de poings, et revient au galop sur la terre ferme.
 J'espère que je n'ai pas loupé la photo. ;-)




 Mais il n'y a pas que ces franches rigolades. Il y a aussi de plus
subtils et complices échanges.

Je n'apprécie pas le cortège de manipulateurs,
profiteurs, dictateurs des religions.
Mais lorsqu'il s'agit des gens, des gens simples, ni fanatiques, ni
foules en délire, les croyants sont beaux.
 Ils sont purs.
 Dans tous les pays et toutes les religions, ça fait de belles personnes.
 
 Et lors de ces trois jours sur ce chemin de pèlerinage, il était étonnant de voir la différence des sourires.

  Ceux des groupes avec plaques numérotées autour du cou, qui ne se
déplacent que de quelques mètres ou centaines de mètre, autour des
parkings et câble-cars, et ceux des personnes qui effectuent réellement le
pèlerinage, marche après marche.
 La foi, celle de la tolérance et de
l'amour, celle des origines, les portant vaille que vaille vers le
sommet.
 
 D'un côté, sourires stupides, accompagnés parfois à mon encontre
d'un retentissant et fanfaronnant "Hello", suivi d'un pouffement idiot
de toute la compagnie.

 De l'autre, mains jointes en un geste de prière respectueuse, des
 sourires sincères et joyeux, éclairés de l'intérieur, des cadeaux
 du ciel.
 Quelque chose qui réchauffe, s'imprime dans la rétine , et pénètre
en vous profondément, s'y lovant délicieusement au creux de
l'estomac, vous nourrissant l'âme.
 Quelque chose de radieux qui continue à rayonner au fond des tripes.

 L'effort de la montée ne semble pas altérer leur disponibilité, leur énergie.

 Alors que les touristes, soufflants et souffrants, offrent des images
de martyrs dignes des religions judeo-chrétiennes.

Revue de détails

Telles sont mes dernières impressions de cette prodigieuse
montagne, que j'ai parcourue à la fois comblée et ravie, sentiment de
plénitude et de sérénité, curieusement mêlé d'un bouillonnement
intérieur intense qui ne cédait pratiquement jamais la place au
sommeil, même harassée, brisée de fatigue.

 D'où un état de quasi transe parfois, qui me laissera un souvenir
unique et impérissable.
Entre, joie de la solitude, inspiration, espoirs, désespoirs, folie, paix, divagations, j'ai touché quelque chose d'unique et enrichissant.


C'est ça aussi la Chine, bien sur

Quand on voit certains escaliers, on comprend mieux pourquoi il y a des passe-murailles!

22h de voyage en car "sleeper", dont huit d'embouteillage. Vous pourrez noter au passage la présence des seaux destines aux crachats. :-(

Le lendemain, 20h de voyage en train, catégorie "hard seats", avec une bande de boute-en-trains (hahaha), partis pour une nuit blanche. Quelle chance! Lors des parties de cartes sans fin, ils se collent une bande de papier hygiénique sur la lèvre inférieure a chaque fois qu'ils perdent.

Les cerf-volants de Xian


"Velibs de Xian

Dans le quartier des calligraphes
Préparation d'un sceau personnalise

Et bien entendu, je me joins a ce cours de danse, avant d'enchaîner 20h de train vers Pekin. Il faut bien ça!

Voila, j'ai encore rattrape un peu de mon retard photographique.

 Mes délires Emaishaniens sont derrière moi, rassurez-vous, je suis désormais plongée dans les mystères et esprits des montagnes du Japon.

 Dans quelques jours, je comblerai le retard Pekin Shanghai...


3 commentaires:

  1. Montagne halucinogène et bonbons à la viande ... il était temps que tu redescendes ;-) Quelle expérience. Encore de superbes photos. Bises, Mykeul

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  2. Miles Davis All Stars - Walkin'
    Ça permet de se rapprocher un peu de ton état en lisant ces lignes ..... whoooiiee !

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  3. C'est génial ta manière de raconter ça.
    Une sacrée expérience tu as vécu là !
    J'ai adoré l'anecdote de l'échange de cris. :)

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